Emmanuelle Tizon, médiatrice par le cheval

La médiation par le cheval est une magnifique illustration de la rencontre du bien-être animal et du mieux-être humain. Rencontre avec Emmanuelle Tizon, médiatrice par le cheval, exerçant près de Pornic.

Emmanuelle, vous êtes médiatrice par le cheval, en quoi consiste votre métier ?

Je pratique la médiation par le cheval depuis de nombreuses années, auprès de personnes en situation de handicap ou souffrant de troubles psychiques : je mets en lien les personnes et les chevaux pour apaiser ou débloquer certaines situations.

Quel parcours vous a menée à ce métier ?

J’ai eu un parcours multiple, qui a commencé évidemment par le cheval et ce qu’il m’a apporté – on ne vient ni ne revient aux chevaux par hasard. Après une expérience d’enseignement en milieu scolaire et médico-social dont j’ai vu certaines limites (programmes, rythme, espace contraint), le goût de la transmission et le besoin impérieux de retrouver la nature m’ont fait revenir vers mes premières amours pour développer ma pratique de la médiation équine : le cheval est l’animal idéal pour créer du lien, car il est comme l’orée d’une forêt, un passage entre le monde de l’homme et celui de l’animal.

Comment exercez-vous votre pratique ? Dans quels cas vous demande-t-on
d’intervenir ?

Les demandes d’intervention émanent le plus souvent d’institutions, et le bouche-à-oreille permet de développer l’activité au fil des années. Les séances de médiation se passent en partie sur un mode individuel, pendant 1 heure le plus souvent. Pour les personnes que j’accueille, il ne s’agit pas forcément de monter sur le cheval, ceci dépend du profil de chaque personne et de son intérêt pour l’animal. J’observe que les personnes autistes aiment plutôt monter à cheval, alors que celles souffrant de troubles psychiques peuvent préférer marcher à côté de l’animal (mais cela est aussi dû à la médication qui perturbe l’équilibre et fatigue). Ma pratique a beaucoup évolué avec l’expérience, ce qui est naturel lorsque l’on travaille avec du vivant. Elle a beaucoup évolué également au fil des rencontres. Aujourd’hui je pratique un temps chez moi (dans mes espaces, avec mes propres chevaux) et un temps en centre équestre, pour des questions pratiques (déplacements des institutions, nombre de bénéficiaires par séance, infrastructures, mixité sociale) mais aussi par choix (je ne propose pas les mêmes choses selon les lieux).

Vous intervenez avec des chevaux auprès de personnes en situation de handicap, quelle place prend la notion de bien-être / mieux-être dans votre métier ?

Elle en prend la place centrale, car c’est là tout l’intérêt de cette pratique : au-delà de la notion thérapeutique, du projet éducatif ou rééducatif sous-tendu, il y a le bien-être de la personne en séance. Si elle repart avec le sourire, c’est déjà une énorme victoire. Du côté de l’intéressé premier (la personne en situation de handicap) les contraintes d’aujourd’hui en institution tendent parfois à limiter ce bien-être, ce qui est totalement paradoxal et occulte des aspects essentiels pour ces personnes comme le lien à la nature et le respect du rythme. L’aspect financier prend aussi trop souvent le pas sur le reste. Je note que l‘on trouve aussi de la souffrance chez les professionnels qui les accompagnent. Ainsi, dans ma pratique, je me retrouve souvent à prendre également soin des encadrants pour qu’ils puissent à leur tour reconsidérer le bien-être dans leur accompagnement.

Pour ce qui est du bien-être des chevaux utilisés, les situations sont variables : les conditions de vie dans certains clubs ne sont pas toujours idéales. En revanche, je constate souvent que les chevaux qui « se plaisent » dans la pratique de médiation en redemandent. Ces chevaux de club y trouvent probablement un équilibre et la possibilité d’exprimer leur nature hors des registres de performance habituels. J’ai travaillé dans un club qui, systématiquement, se séparait de mes meilleurs partenaires : ils n’étaient pas assez bons en tant que sportifs mais faisaient d’excellents partenaires de médiation. Les chevaux changent souvent du tout au tout selon le public accueilli, et la force du public que je reçois est d’être sans attente vis à vis d’eux, ce qu’apprécient pleinement les chevaux.

Quel lien établissez-vous entre bien-être animal et bien-être humain ?

C’est incontestablement un lien de vases communicants, un phénomène « d’éponge » et de miroir également. Mes chevaux savent me lire au moins autant que j’apprends à les lire. A force de travailler dans les clubs je mesure à quel point les chevaux ressemblent à ceux qui s’en occupent ! La notion de bien-être chez ces animaux passe par un ajustement permanent aux contraintes engendrées par l’usage que nous en avons, en toute conscience. La notion de bien-être nous lie autant que l’histoire de la domestication nous a liés jusqu’à nos jours.

Qu’apporte la médiation par l’animal que n’apportent pas d’autres approches ?

Par rapport à d’autres thérapies de médiation par l’art ou la danse, la médiation par le cheval introduit un tiers vivant qui permet de tisser une relation triangulaire. Le médiateur ne pourra jamais remplacer le cheval ni la relation que celui-ci vit avec le bénéficiaire. Le cheval en médiation représente un peu cette part qui nous échappe.

Les vétérinaires sont également au cœur du lien humain-animal, quelle observation pourriez-vous partager avec les praticiens ?

La notion de vision holistique me semble importante. Notre travail tient en très grande partie à l’observation. Nous développons ce sens aussi loin que possible. On me demande souvent comment on choisit une cavalerie et comment on fait travailler les chevaux partenaires. Personnellement j’aime que ce soit le cheval qui choisisse, pour bénéficier de son caractère propre au cœur de la médiation. Tous les chevaux ne réagissent pas de la même façon à cette pratique, mais il est intéressant de voir comment certains s’y plongent et trouvent des ressources inhabituelles pour s’y investir. La question que je me pose systématiquement devant un nouveau cheval, est « qu’est-ce que ce cheval-ci va pouvoir m’apprendre de ma pratique ? ». Cette pratique, tant au niveau humain qu’au niveau équin, nous oblige à revenir à l’individualité. Il n’est pas un handicap, un symptôme, un syndrome ou une difficulté qui appartienne à un champ théorique déjà dicté ; il y a un humain et un cheval qui ont une manière unique d’exprimer leurs besoins et de venir chercher ce dont ils ont besoin.

La médiation apporte un nouvel angle d’approche des chevaux, dont on ne guette plus le côté athlétique ou utilitaire, mais qui devient le partenaire relationnel entre des humains et leur propre nature. Cela exige de lui d’autres aptitudes, et cela entraîne aussi d’autres faiblesses. Il s’agit donc d’une pratique qui nous amène à une autre vision de l’animal.

GP-FR-NON-210600007